D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé
lire. Les livres occupent une place prépondérante dans ma vie depuis l’enfance,
et de nombreux souvenirs heureux y sont
liés.
Les livres ont rythmé ma vie, marqué mon adolescence
et contribué à faire mon éducation. Ils sont liés à des moments d’échange et de
partage pour moi qui vient d’une famille d’amoureux. Amoureux des mots, de la
lecture, des livres. En effet, cet amour inconditionnel et ce goût pour les
voyages immobiles me vient de mes parents, au contraire de mes deux petites
sœurs chez qui le virus ne s’est jamais ni implanté, ni propagé. Peut-être même
ont-elles fait un rejet conscient et volontaire, ce sont des rebelles, des
esprits contestataires et provocateurs. Elles avaient besoin de mouvement et
d’action, là où je n’étais que rêverie et pages tournées. Bref, elles ont
trouvé leur propre violon d’Ingres et j’ai largement dévoré leur part de
volumes par la suite.
Mes souvenirs d’enfance sont flous, et demeurent en
mon esprit des instants abstraits, plus impressions que certitudes, goûts,
odeurs, parfums pallient visages moins nets, moments moins surs et paysages
incertains. Et le poids des années n’aide pas à enlever ce voile qui recouvre
ma mémoire. Cependant, s’il est des réminiscences de cette époque, en mon
esprit parfois brouillé, ce sont celles liées aux livres. Là, la brume se
dissipe, la nuit s’évanouit et les images reviennent. Des images liées à ma
mère, tout d’abord. Patiente, immobile, assise sur mon lit, elle me lisait mes
contes préférés. Un recueil en particulier avait ma préférence et bien que
connaissant son contenu par cœur, je ne pouvais jamais me lasser de l’entendre.
C’était un recueil de récits de
randonnées, dans lequel poules, poussins, ânes, chiens et autres animaux et
humains connaissaient un coup du sort, un terrible malheur, qui parfois
s’arrangeait, parfois non. Au fil des années, il est devenu synonyme de moments
précieux aux yeux de mes deux petites sœurs aussi et ainsi, désormais à quatre
sur un lit, je n’ai jamais cessé de les écouter. Le corps au chaud sous la
couette, le cœur en sécurité, je me délectais de ces moments de simplicité et
de bien être, lors desquels seuls comptaient la voix de ma mère et le destin de
ces singuliers personnages de contes. C’est fou comme certains livres ont notre
préférence plutôt que d’autres, et nous attirent plus. On ne peut nier
l’attrait qu’exerce tout d’abord la couverture, qui détermine souvent si l’on
ira plus loin ou non, si on lira ou non le contenu. Quand je pense aujourd’hui
à tous ces romans que j’ai envie de lire, et d’avoir lus, tellement de livres
et si peu de temps ! Et dans ces moments là je me dis que je n’aurai pas
dû me forcer à finir les livres inintéressants, que je n’aurai pas dû non plus
relire sans cesse mais livres préférés, mais au lieu de cela, j’aurai dû immédiatement
m’atteler à cette tâche ardue et noble, la lecture en générale, et à ma « to read » liste en
particulier…
Mais je m’égare. Avant de parler de tout ce que je
rêve d’engloutir, revenons sur mes premiers volumes. Passé le temps des
histoires racontées par ma mère, qui me berçaient et au son desquelles je
m’endormais, j’ai très tôt appris à lire et quasiment seule, comme bon nombre
d’enfants. J’étais très éveillée, et impatiente, sans doute avais-je déjà
pressenti que déchiffrer le mystère des lettres et de leur association,
permettant ensuite de percer à jour l’énigme encore plus grande des livres, me
conduirait à des heures délicieuses, faites d’évasion et de chimères. Les
livres m’ont bien souvent tenu compagnie et grâce à eux je ne sais guère ce que
sont les sentiments de solitude et d’ennui. Le long du chemin, j’ai grandi,
mûri, les livres ont rendu mon imagination fertile et ont aidé à créer ma personnalité,
mes idées, formuler ma pensée. Ils ont permis de faire de moi ce que je suis,
et ont orienté mon choix de carrière
professionnelle.
Une fois l’apprentissage achevé, ma mère revient sur
le devant de la scène puisque c’est en grande partie grâce à elle que je me
procurais mes chers livres. Chaque fois que nous faisions les courses ensemble,
nous faisions obligatoirement une halte au rayon livre et nous en choisissions
un nouveau, à condition bien sûr que le précédent soit terminé. Nous ne roulions
pas sur l’or mais mes parents ne m’ont jamais refusé un livre. Ainsi, dans les
rayonnages des magasins, je choisissais, grâce aux sages conseils de ma mère,
celui avec lequel je ferai mon prochain bout de chemin, celui qui dormirait à
mes côtés, caché sous mon oreiller ou bien veillant sur mon sommeil depuis ma
table de chevet. Je n’ai pas de souvenirs précis du premier livre que j’ai lu,
mais il se situe sans doute quelque part entre « Heidi », « Les
Malheurs de Sophie », « Les Petites Filles modèles » ou autre
Comtesse de Ségur ou encore Roald Dahl. Je me souviens de collections plus que
de titres, de certaines couvertures plus que de certains récits. En revanche,
si je ne me souviens pas du premier titre que j’ai pu lire seule, ayant compris
les mécanismes, cerné les rouages et obscurs dédales que recelaient
la lecture, je me souviens très bien des sensations que cela m’avait
procuré. Une sensation de fierté tout d’abord, car je récoltais enfin les
fruits dûs à mon dur labeur d’écolière. La liberté, ensuite, liberté de lire
seule sans dépendre de quelqu’un qui
aurait déchiffré les mots pour moi, et deviné les histoires avant moi. Liberté
d’ouvrir un livre quand moi seule l’aurait décidé, et idem pour le refermer.
Accès au savoir, passeport pour le voyage et l’évasion. J’avais aussi un peu
l’impression d’appartenir à un cercle fermé de privilégiés, ceux qui avaient
déchiffré le code, les lecteurs. Cette découverte de la lecture en solo, comme
une grande fille, s’est également accompagnée de l’arrivée de nouveaux objets
dans ma vie, compagnons de mes livres et de mes lectures. J’ai ainsi pu
commencer à apprécier la beauté d’un marque page, et celle des bibliothèques,
porteuses de tant de destins et si prometteuses ! Je les examinais
attentivement partout où j’allais, partout où j’en trouvais. J’ai ainsi hanté
les rayonnages de celles de mes écoles, de mes amis, de ma famille, partout où
il y avait des livres, j’étais aussi, j’allais aussitôt. Flânant au gré de
leurs rayons, j’aimais à piocher un livre et à endosser, selon mon humeur
changeante ou mes caprices, le rôle d’une Rebecca, j’adorais revivre le destin
tragique d’une Juliette, j’aimais à soliloquer avec Solal, ou encore rêver à la
gloire avec Julien Sorel et Bel Ami, pour n’en citer que quelques uns.
Tellement d’auteurs et de personnages ont peuplé mes nuits que je ne saurai les
citer tous avec exactitude, et je ne souhaite en oublier aucun car tous ont compté, en leur temps et chacun à
leur façon. Et avec eux, par eux, je construisais mes premiers châteaux en
Espagne, espérant tantôt mener la vie de détective d’un Hercule Poirot, ou
encore songeant à me passionner pour la langue française, et je priais alors
pour devenir le nouveau Zola, le nouveau Maupassant, le nouveau Vian, bref,
compter dans le paysage littéraire en y laissant une griffe particulière, une
plume inattendue.
J’étais très exigeante et j’attendais d’un livre
qu’il me fascine et me captive au point que je ne puisse plus rien faire
d’autre que de me consacrer à lui corps et âme, vouer mon temps à sa seule
lecture, au point que de m’arracher à lui soit douloureux. Je m’y plongeai
avidement de la première ligne au dernier point.
Et aujourd’hui, je lis toujours. Outre mon emploi de
documentaliste, je fais partie d’un café lecture et j’écris un peu, du moins
j’essaie. Je fais les salons du livre en touriste, avec l’espoir qu’un jour j’y
sois invitée en tant qu’auteur. Je sais que mes parents sont heureux et fiers
de m’avoir transmis leur passion des livres, et j’espère à mon tour, un jour,
enseigner cet amour des mots à mes enfants, tout comme j’essaie de le faire
passer à mes étudiants au quotidien.
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