vendredi 12 septembre 2014

On est bien peu de choses...

Les enterrements nous donnent des leçons de vie. Ils sont faits pour les vivants, ceux qui restent.

J’ai récemment dû aller à un enterrement, j’y accompagnais un ami, qui avait perdu un proche. Je n’ai pas souhaité le laisser seul afronter cette perte, et moi qui ai la chance de ne pas être trop coutumière de la mort et ses suites, je l’ai donc accompagné lui, qui l’a subie.

En roulant vers Marseille, je lui avoue que je suis très nerveuse, et que j’espère être à la hauteur pour le soutenir, sans toutefois lui garantir de ne pas craquer à mon tour. Il me rassure. Cependant, mon angoisse monte d’un cran lorsqu’il m’annonce que le premier rendez-vous est au dépositorium, c’est-à-dire que nous allons nous recueillir devant la personne, mise en bière, mais dans un cercueil ouvert.

Arrivés là bas, nous sommes rapidement rejoints par des collègues du défunt, venus en nombre lui rendre un dernier hommage, ainsi que par la famille, qui a subi cette perte comme un choc très soudain, n’étant pas au courant des problèmes de santé du malade. Parce qu’il avait choisi de le cacher à presque tous ses proches.

Le moment de descendre voir le corps approche. Je me sens extrêmement nerveuse, j’ai l’impression qu’il faut que je mange, et en même temps, il me semble que mon corps rejetterait toute nourriture que je tenterai de lui faire absorber. J’ai peur de faire un malaise, vomir, m’évanouir, peur de craquer, et de ne pas avoir la force que l’on attend de moi dans cette épreuve.

Je rentre parmi les premières dans la salle, et je me place près de mon ami, qui se recueille devant le cercueil. Ses larmes coulent abondamment, tandis que je me sens impuissante face à cela .Je ne peux que le serrer dans mes bras, afin qu’il sente bien qu’il ne traverse pas cela seul. Ma première pensée est qu’un mort, cela ressemble en fait beaucoup à un vivant, et ce constat me surprend. Le défunt a l’air paisible, et j’essaie de me concentrer sur le fait qu’il ne souffre plus, lui qui a eu, selon ce que l’on m’a dit, une fin de vie pénible. Je salue aussi en pensée le fait que cette personne s’est battue jusqu’au bout, dans l’ombre de sa famille, qu’il a souhaité laisser ignorante de sa situation. Et il ressemble tellement à un vivant, que je crois même le voir bouger ! Je vous assure ! A un moment donné, je suis persuadée qu’il respire, et je vois même le drap qui l’entoure se soulever régulièrement au rythme de sa respiration. Et je me demande comment il est possible que personne d’autre ne s’en soit aperçu, c’est une erreur, j’ai envie de crier au malentendu, et de tout arrêter, car pour moi, on s’apprête à enterrer un vivant !

J’arrive à me montrer assez forte, jusqu’au moment où un discours très émouvant est prononcé par une proche du défunt, sa sœur. Cette dernière lui adresse un dernier au revoir, et glisse dans le cercueil du défunt des photos de sa femme, elle aussi décédée, avant lui, et de son fils. Et là, je sens que je craque, et mes derniers remparts cèdent. Je me retrouve à pleurer auprès de mon ami, même si je n’ai pas connue la personne étendue devant moi. Cela ne change rien, le chagrin me gagne, et une immense peine m’envahit. Je me sens touchée par la détresse de tous ces gens autour de nous, qui ont perdu un frère, un père, un ami, un collègue. Et je me dis que le manque n’est pas encore là, qu’il viendra après, s’infiltrant insidieusement, lorsqu’il ne sera plus auprès de ses collègues au travail, mais qu’il faudra bien qu’ils continuent à travailler. Lorsqu’il ne sera plus là pour sa sœur et son fils, et que les fêtes de fin d’année approcheront par exemple, ou que les autres autour d’eux iront à des déjeuner de famille le dimanche midi. En bref, le deuil ne commence pas le jour où l’on nous apprend la mauvaise nouvelle, selon moi, mais plutôt le premier jour où l’abscence et le manque se font cruellement ressentir. Et ce jour-là, ce jour-là, on ressent une douleur à vous couper le souffle, et comme un vide à l’intérieur, à l’idée que l’on ne reverra plus jamais la personne.

Se profile maintenant le moment de fermeture du cercueil, et sur autorisation de mon ami, les officiers font leur travail. Vous vous doutez bien que si je n’avais jamais vu de cercueil ouvert, je n’avais donc jamais non plus assisté à la fermeture. On commence par poser le couvercle sur le cercueil, puis des vis y sont placées, vissées, et complétées par des embouts. Cela peut paraître de peu d’importance de raconter cela, mais si je tiens à le faire, c’est pour vous exprimer à quel point j’ai pu être choquée de voir la ressemblance entre des « travaux » de la vie de tous les jours, et la fermeture d’un cercueil. Le parallèle est dérangeant. Car hormis les visages fermés, silencieux et empreints de respects des officiants, rien ne change fondamentalement…Là encore, je me sens oppressée, et je ne peux m’empêcher de me demander si la respiration que j’ai cru percevoir comme venant du défunt tout à l’heure n’était qu’une vue de l’esprit, un effet de mon imagination. J’ai peur que l’on enterre quelqu’un qui s’est simplement assoupi, tellement ses traits sont détendus, et son visage apaisé.

Nous serons rejoints ensuite par deux autres amies. L’une d’elle avait perdu son beau-père la veille, autant dire que la série noire continuait, et que de son côté, la mort, ces temps-ci, faisait preuve de nombreuses exigences en matière de victimes…

Tout le monde se retrouve ensuite au cimetière, pour assister à la mise en terre du cercueil, dernière occasion pour ceux qui le souhaite de s’approcher du cercueil, lui dire un petit mot, toucher, voire embrasser le cercueil. Une fois celui-ci en terre, nous sommes restés, à regarder les ouvrier du cimetière refermer le caveau, et reposer la dalle.

Ensuite, mon ami a souhaité se recueillir un peu seul sur la tombe de son père, exigence oh combien légitime. Nous sommes restées là, toutes les trois, trois amies, avec qui j’avais jusque-là partagé des petits malheurs (nos ruptures respectives), et de grands bonheurs (le mariage de l’une d’elles).


Pendant ce temps, je me suis interrogée sur l’importance que les gens accordaient à la mort de nos jours, et la place du deuil dans notre société. Au final, peu de gens étaient venus vêtus tout de noirs, certaines femmes étaient mêmes en jupes courtes, d’autres en tongs, et d’autres étaient habillés comme pour aller travailler. Je ne porte pas de jugement, chacun gère un deuil et un enterrement comme il le souhaite, mais il est vrai que je considère pour ma part, par respect pour le défunt, qu’une tenue noire, décente et sobre est de mise, voire la moindre des choses. Mais peut-être ai-je une vision désuète ou vieillotte de la chose…

Puis c’était fini. Il nous fallait retourner à nos occupations, reprendre le travail, et poursuivre nos vies là où nous les avions laissées…

Mon ami nous a chaleureusement remerciées d’être venues, ce n’était pas la peine, c’est ça l’amitié, être là pour l’autre dans les bons moments, mais aussi lors des coups durs que nous impose la vie. Et la mort fait partie de la vie, malheureusement.

Je ne sais pas conclure ce billet, il y aurait encore tellement de choses à dire sur la mort : dire qu’en Chine, la couleur du deuil est le blanc, et pas le noir, comme chez nous ; dire que dans d’autres endroits du globe, un enterrement est l’occasion de faire la fête, bref, il y aurait encore tellement à dire sur la mort !

Les morts restent auprès de nous pour toujours d'une certaine manière, car ils vivent à jamais dans nos cœurs,et nos mémoires. Ainsi, ils ne tomberont jamais dans l'oubli, et il y aura toujours un parfum, une couleur, un ciel d'été, une pluie d'automne, une musique ou encore des lieux qui nous ramèneront à eux.

J’ai choisi de conclure en citant une phrase de Frédéric Dard que j’adore, qui me parle, et qui parlera sans doute aussi beaucoup à cet ami, à qui je dédie ce billet : « Si j’avais su que je l’aimais autant, je l’aurais aimé encore davantage »…





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